25 mars 2010

Le marché locatif des bureaux franciliens : Un retour à l’équilibre impossible à court terme

La crise a-t-elle brisé un cercle vertueux de croissance ?

A la lecture de l’évolution du marché locatif depuis 2002, il est notable de constater que ce cercle vertueux n’a pas existé. La rupture de 2007 n’a donc fait qu’aggraver, très sensiblement, le déséquilibre entre la demande et l’offre.

Le pouvoir de louer des entreprises, et plus particulièrement des TPE et PME qui constituent la composante essentielle du tissu économique régional, est limité depuis plusieurs années :

- Les franchises de loyer sont chose courante depuis 2003,
- Les loyers moyens réels n’ont pas progressé depuis 2000. Ils étaient, en termes constants, inférieurs en mars 2008 à ceux constatés 7 ans auparavant,
- Le reflux du volume de commercialisation a précédé la crise économique. Ce volume avait déjà baissé de 3,6% entre 2006 et 2007,
- Le principal carburant de la demande était déjà l’économie de coût et non les investissements de développement,
- L’absorption nette est restée modeste : 10 m² loués n’engendraient une diminution du stock que de 1 à 2 m² entre 2005 et 2007.

Ce pouvoir locatif restreint résulte de l’incapacité structurelle de l’économie francilienne à bénéficier d’une forte croissance. La création nette annuelle moyenne d’emplois de bureaux n’a pas dépassé 10 000 à 12 000 postes entre 2002 et 2008 soit une demande de croissance n’excédant pas 200 000 m² en moyenne annuelle.

Or, parallèlement, l’économie francilienne a produit beaucoup plus de bureaux que ses besoins réels ne le nécessitaient. L’excès de livraisons annuel s’est inscrit entre 400 000 m² et 700 000 m² entre 2005 et 2008.

Les fondations de l’économie francilienne étaient ainsi déjà bien fragilisées.

Un profond déséquilibre entre une demande affaiblie et une offre surabondante

- Une demande affaiblie

Dans un contexte de perte de valeur des entreprises non financières et de niveau d’endettement historiquement élevé, ce pouvoir locatif s’est nettement dégradé depuis fin 2007.

Cette dégradation s’est accompagnée :

- D’une destruction de plusieurs dizaines de milliers d’emplois de bureaux (plus de 80 000 en 2009) engendrant une explosion des libérations de surfaces ou des surfaces vacantes encore louées, le tout représentant près de 1 000 000 de m² l’année dernière,
- d’une chute prononcée du volume de commercialisations (- 24% entre 2008 et 2009, - 41% entre 2006 et 2009 !),
- d’un effondrement de la consommation nette qui est devenue négative : chaque m² loué a accru le stock en 2009,
- d’une baisse des loyers considérés comme acceptables par les entreprises eu égard aux fortes contraintes budgétaires qu’elles subissent : près de 60% des transactions ont été conclues à des loyers inférieurs ou égaux à 300 € /m² HT et HC/an.

- Une offre surabondante

L’offre à un an est actuellement supérieure à 5.000.000 de m², niveau qui n’avait encore jamais été atteint.
Elle a crû de 1.500.000 de m² en l’espace de deux ans. Alimentée par une production débridée entre 2002 et 2008, l’offre subit l’inertie des délais de construction: un demi-million de m² livré en 2009 n’a pas trouvé preneurs et plus de 50% des livraisons prévues en 2010 ne sont pas commercialisées.

Le stock est aussi gonflé, depuis 2008, par un mouvement de libérations de surfaces de très grande ampleur, puisqu’elles ont été supérieures de plusieurs dizaines de milliers de m² aux locations en 2009.

La structure du stock met ainsi en lumière les quelque 3 500 000 m² de locaux de seconde main vacants à un an (1 000 000 de m² de plus qu’au premier trimestre 2008). Croulant sous le poids des libérations, ce segment d’actif est malmené par une offre neuve importante et accuse d’autant plus son niveau d’obsolescence.

La production actuelle a-t-elle suffisamment baissé ?

Dans ce schéma d’une économie fondée sur le recyclage, la variable d’ajustement est naturellement la production. Celle-ci a nettement baissé : 715.960 m² SHON ont été mis en chantier en 2009 soit une baisse de 43,5% sur 12 mois.

Le mouvement de balancier a donc été brutal. La production bénéficie des mouvements de restructuration des entreprises : les locaux neufs sont moins consommateurs d’espaces par poste de travail. C’est pourquoi, une production minimale est indispensable. Selon le BIPE, les besoins annuels en renouvellement du parc et ceux liés à l’accroissement de l’emploi tertiaire sont évalués en moyenne à moins de 500 000 m² environ si la croissance économique annuelle atteint 1,9% en moyenne entre 2006 et 2017.

Eu égard au taux de croissance prévu en 2009 (-2,1%) et escompté en 2010 (+ 0,8%), la production annuelle ne devrait pas excéder 300 000 à 350 000 m² ce qui est bien inférieur à celle constatée en 2009.

En conséquence, le volume de mises en chantier apparaît encore trop important compte tenu des livraisons prévues en 2010 et 2011 ainsi que du stock neuf immédiat. La pénurie ne menace donc absolument pas à court terme. A moyen terme, l’inquiétude ne semble non plus de mise si l’on en juge par le volume autorisé en 2009 : 1.300.000 m².

La production doit être, par contre, bien ciblée géographiquement afin d’éviter une pénurie d’offre neuve dans certains secteurs à compter de 2012/2013 et d’alourdir le stock dans d’autres. Elle doit également répondre à une demande solvable.

- Un taux de vacance plus élevé qu’on ne le dit

Le taux de vacance réel est supérieur au taux nominal (7%) qui est largement diffusé.

Il faut en effet inclure au taux facial les surfaces qui ne sont plus occupées en raison de la compression des effectifs mais encore louées. Il faut également ajouter les locaux retirés temporairement du marché. Au final, le taux réel d’inoccupation n’est pas éloigné de 10% du parc soit près de 5 000 000 de m².

Des loyers réels en nette baisse : une bouée de sauvetage pour l’activité

Les loyers moyens et faciaux ne reflètent pas la réalité du marché. Ils la minimisent. Depuis début 2008, un puissant mouvement déflationniste est à l’œuvre : déduction faite des cadeaux commerciaux octroyés aux locataires (jusqu’à un an de loyer), les loyers réels ont diminué de 25% à plus de 35%, selon les actifs et les secteurs géographiques considérés. Cette diminution constitue un puissant amortisseur des effets de la récession économique et permet de maintenir un certain volume de transactions.

Les immeubles les plus chers, et donc le neuf, sont les plus pénalisés illustrant la fracture entre les exigences techniques et pécuniaires des candidats locataires et celles affichées par les bailleurs. Sur le seul Quartier Central des Affaires, les valeurs de présentation ont chuté de 20 % en moyenne au cours des deux dernières années.

Par effet de capillarité, tous les secteurs géographiques sont concernés, y compris ceux affichant un stock limité, telle la Défense.

Cette baisse des loyers réels s’est accompagnée d’une réduction des loyers nominaux ainsi que d’un accroissement des mesures d’accompagnement qui représentent désormais entre 15 et 20% de la valeur locative faciale et de 1,5 à 2 mois de loyers.

La menace qui pèse sur l’économie immobilière tertiaire est d’ordre macro-économique.

En dépit du rebond de croissance dont devrait bénéficier l’économie française en 2010, celui-ci devrait être inférieur au potentiel de croissance (1,6%). Il ne permettrait donc pas de combler le retard accumulé depuis 2008 mais, au contraire, l’accentuerait.

Le taux de chômage pourrait franchir un nouveau palier (10,5%). En moyenne annuelle, la création nette d’emplois de bureaux devrait être très modeste d’ici fin 2011 d’autant que les destructions nettes de postes devraient se poursuivre cette année, à un rythme moindre cependant qu’en 2009.

Par ailleurs, l’ampleur des déficits publics (3,4% du PIB en 2008 ; 8,7% en 2010) devrait nécessiter tôt ou tard la mise en place d’une politique rigoureuse de gestion budgétaire. La dette publique atteindrait en effet un niveau sans précédent (67,4% du PIB en 2008 ; 84,3% du PIB en 2010). La question de la soutenabilité des finances publiques va donc immanquablement se poser. La reprise de l’économie ne suffira pas à éponger la dette. Si la rigueur venait à être imposée, elle contraindrait lourdement la croissance, le niveau général de solvabilité des entreprises et des ménages, les créations nettes d’emplois et, donc in fine, la demande locative de bureaux.

Perspectives

- Quelle demande ?

Dans un contexte de dégradation des profits, de carnets de commande allégés et d’un fort endettement, les entreprises non financières notamment poursuivront leur politique de restriction budgétaire en matière immobilière. La rotation des entreprises constituera encore le seul moteur du marché alimentant la demande.

Dans ces conditions, le volume commercialisé en 2010 pourrait être au mieux équivalent voire moindre que celui relevé en 2009. Depuis janvier 2010, la demande placée est inférieure de près de 20% (340.000 m²) à celle constatée au 1er trimestre 2009. La consommation nette devrait, quant à elle, demeurer négative.

- Comment évoluera l’offre ?

L’offre disponible à un an devrait s’inscrire cette année entre 5 000 000 et 5 500 000 de m². Les premiers effets positifs de la diminution de la production ne se faisant toutefois véritablement sentir sur le stock qu’en 2011. Cette diminution s’avère toutefois insuffisante. L’offre continuera d’être alimentée par un volume de livraisons (+ de 700 000 m²) et de libérations important, dans la continuité du mouvement de destructions d’emplois et de ruptures de baux. La grande inconnue porte d’ailleurs sur l’ampleur de ces ruptures qui peuvent potentiellement concerner plusieurs millions de m² entre 2010 et 2014.

- La diminution des valeurs locatives est-elle finie ?

La déflation va perdurer. La diminution moyenne des loyers réels devrait osciller entre 10% et 15%. La pression baissière sera toutefois moindre pour les bas loyers (≤ à 200 €/m²/an) que pour la tranche des loyers supérieurs à 400 €/m²/an et plus intense dans les territoires notoirement sur offreurs (ex : 1ère Couronne Nord et Sud ; Croissant Ouest).

- Quel taux de vacance ?

Le taux de vacance réel devrait avoisiner 10% du parc.

- Quel délai pour résorber l’excédent d’offre ?

Le niveau de la production actuel ne suffira pas à permettre un désengorgement rapide du marché. Il est intéressant d’observer, que trois années (2004-2007) avaient été nécessaires pour que le stock à un an diminue d’un million de m² alors que cette période avait bénéficié d’une croissance du PIB très supérieure, de créations nettes d’emploi positives.

L’offre à un an est excédentaire de 1,5 million à 2 millions de m². Eu égard aux sujétions immobilières et économiques présentes et à celles qui peuvent être anticipées, sa résorption prendra nécessairement du temps. Sur la base :

- d’un volume de production en décroissance régulière mais demeurant encore supérieur au niveau requis,

- d’une consommation nette qui restera modeste,

un reflux conséquent du stock à un an nous apparaît relever de l’utopie à court terme. Dans ces conditions, le retour à l’équilibre du marché locatif des bureaux avant 2013 n’apparaît pas envisageable.

Département Etudes & Recherches Contact :
Evelyne COLOMBANI E-mail : evelyne.colombani@immogroupconsulting.fr Téléphone : 01.39.17.01.06/ 06.38.34.86.86
Jean-Michel CIUCH E-mail : jmciuch@immogroupconsulting.fr Téléphone : 06.16.79.36.62


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