21 septembre 2016

Foncière Solidaire : un outil de plus ou plus qu'un outil de la politique du logement ?

Le délégué interministériel à la mixité sociale dans l'habitat, Thierry Repentin, vient de rendre public son rapport en vue de la création d'une Société Foncière Solidaire. Celle-ci sera mandatée par l'État pour acquérir et porter des terrains auprès de la collectivité nationale ou des collectivités locales, voire de propriétaires privés, à des prix tels que les logements construits sur ces emprises seront accessibles à tous. En clair, la Foncière Solidaire est un dispositif privilégié d'application de la loi de mobilisation foncière, premier texte marqué de l'empreinte de Cécile Duflot lorsqu'elle était ministre du Logement. Cette foncière, telle que l'auteur du rapport l'a configurée, sera dotée par l'État et par la Caisse des Dépôts et Consignations à parité et disposera de 750 millions d'euros par an. Elle sera elle-même exonérée de taxe foncière et d'imposition sur la plus-value lors des reventes. Ses acquisitions, lorsqu'elles se feront auprès de vendeurs privés, donneront également lieu à exemption de paiement de l'impôt sur les plus-values. Enfin, les communes pourront lui déléguer le droit de préempter.

Que penser de cette création ? Incontestablement, la question foncière est centrale et la santé restaurée du marché du logement neuf nous fait courir le risque de ne plus voir que ce cancer affecte la construction depuis des lustres. Il va falloir remédier à la rareté de foncier à des prix abordables : imaginer un nouvel outil pour constituer une réserve foncière de premier plan à destination des opérateurs désireux de bâtir des logements sociaux ou intermédiaires est une heureuse initiative. Il serait fâcheux en revanche de ne pas en voir les failles ou les insuffisances.

Tout d'abord, à regarder la feuille de route de cette nouvelle foncière, allant du conseil aux collectivités publiques à la facilitation de projets d'aménagement et de construction en passant par la constitution de réserves foncières, on a du mal à la distinguer d'outils existants. Le premier qui semble entrer en concurrence frontale avec la Foncière Solidaire est les établissements publics fonciers régionaux (EPF) qui existent déjà dans les régions où les besoins en logements sont forts (PACA et Ile-de-France). Ne vaudrait-il pas mieux que la foncière regroupe et coordonne les EPF sur tout le territoire? On peut aussi légitimement se poser la question de l'articulation de la foncière avec les dispositifs actuels, France Domaine, l'agence immobilière de l'État en quelque sorte, le Conseil de l'immobilier de l'État, organe de conseil et de contrôle, la Mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée Nationale (MEC) -qui surveille les cessions-, la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), le Comité de politique immobilière, la Commission pour la transparence et la qualité des opérations immobilières de l'État et d'autres encore. L'efficacité passera par une simplification des structures déjà à la manœuvre.

Les préconisations fiscales, pour judicieuses qu'elles soient, ne pourront bénéficier à l'action de la foncière que si la prochaine loi de Finances les inscrit dans le code général des impôts. Cela est vrai des exonérations que revendique la structure, comme du régime exceptionnel de taxation des plus-values pour les propriétaires privés qui lui cèderaient leurs terrains. L'idée de leur faire accepter des prix de vente inférieurs au marché grâce à une remise de l'impôt sur les plus-values est excellente, mais Bercy acceptera-t-il durablement de se priver de ressources prévues ?

Enfin, les débats ouverts lors du vote de la loi de mobilisation foncière en 2012 restent actuels : quelle collectivité consentira à se priver de ressources pour céder jusqu'à 60% au-dessous du marché au nom de l'intérêt général ? La situation des finances locales le permet-elle ? Et sans même parler des contraintes budgétaires des communes, un maire sera-t-il habilité par ses administrés à brader le patrimoine qui lui est confié ? En somme, la politique de la Foncière Solidaire ne sera-t-elle pas enrayée par une réalité économique et politique qui la dépasse ? Il sera indispensable aussi que la foncière use du droit de préemption qui pourra lui être délégué par les communes avec discernement, et qu'elle ne s'érige pas en ayatollah, en préférant le dialogue et l'incitation à l'autoritarisme. Sans cette attitude nuancée, ce sont les rapports entre l'État et les élus qui vont se déliter et tout progrès en sera bloqué.

Au-delà des craintes qu'on est en droit d'exprimer, il faut se réjouir que la Foncière Solidaire se propose d'utiliser le bail emphytéotique, ingénierie précieuse pour abaisser les coûts de construction et permettre la production de logements à des prix accessibles. D'autres pays y ont un recours quasi systématique. En différant l'acquisition du terrain, le dispositif permet d'alléger la charge foncière et de resolvabiliser les ménages pour l'accession, comme d'abaisser les loyers perçus par les bailleurs sociaux ou privés, dont l'équation financière est impactée de façon favorable.

La Foncière Solidaire, selon la manière dont le projet sera mis en œuvre, sera indifféremment un outil de plus dans une panoplie déjà lourde, ou plus qu'un outil, un levier déterminant de la régulation foncière pour dynamiser la construction.

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